retour      Les pistes du tabac                                                           

                
  
congo populaire

             Combien de pannes avons-nous eu durant ce voyage ? Je ne m'en souviens plus. Peu importe d'ailleurs, ce qui comptait c'était de quitter BRAZZA la  VILLE.
    C’était se retrancher de la civilisation, C’était  aller vivre un peu au rythme de la brousse. Et si de temps à autre, on sentait la lassitude venir, il suffisait de penser aux villageois qui, parfois, devaient parcourir 60 kms à pied peur aller chercher du pétrole ou des médicaments.

 Septembre 1976. Encore quinze jours de vacances pour les professeurs en coopération que nous sommes et nous décidons de partir en moto vers le Nard.
-Andrée et Hervé sur une Yamaha 125 de ville.
-Roger sur une Yamaha 175 Trial.
-Ma pomme sur une Honda 125 de ville un peu rétro avec ses chromes et ses lignes arrondies,

Dimanche 12 septembre : Le grand départ vers 9 h  ( Résonnez TAM TAM, sonnez flûtes et saxos ).
Notre route est ponctuée par des arrêts fréquents : Pour se restaurer, s'approvisionner en essence (en trouverons nous toujours ?), se dégourdir les jambes à cause d’un mauvais passage sableux (c’est la fin de la saison sèche).

Première étage importante: MPO entre NGO et LEKANA. Nous sommes dans la réserve de la LEFINI : il doit y avoir une case de « passage ». Après une heure de palabres, le garde-chasse se décide à nous y accompagner. Nous y arrivons sur la coup de 11 h en pleine chaleur. Aussi commençons-nous par installer des fauteuils sans un manguier…

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Un déjeuner sur le pouce, une petite sieste et nous voilà prêts pour la descente à la rivière où les animaux vont se désaltérer.
Le garde-chasse, en tenue de combat avec le fusil à la bretelle nous précède d’un pas régulier.    A la lisière du bois il s’arrête, prête l’oreille comme le ferait un chien et arme son fusil. Nous traversons le petit bois qui longe la rivière. Je constate que sur le chemin, de nombreuses branches ont été cassées : il faut préserver le passage dans cette luxuriante nature.

Nous débouchons sur une sorte d’étang et nous nous postons pour surprendre la baignade des éléphants. Pas de chance en une heure d'attente en plein soleil, nous ne voyons que quelques oiseaux. Par contre nous sommes dévorés par de minuscules fourmis. C’est dommage, les éléphants sont venus tôt le matin. Le guide nous montre des traces de pas encore fraîches et des excréments. Nous scrutons encore une fois cet endroit marécageux bordé de grands arbres. Il est 17 h 30 et la nuit va bientôt tomber.

Sur le chemin du retour un petit troupeau de buffles, au beau milieu de la plaine se repaît sur les vagues traces qui tiennent lieu de piste. Nous nous approchons un peu. Le noir c’est le plus méchant nous dit le guide qui ne paraissait pas très rassuré. ( Nous sommes à découvert ).
Pour rentrer nous faisons  un large crochet. Le garde-chasse trottant devant nous  Courageux mais pas téméraire le bougre !

La remontée à la case est bien dure car la pente est raide et nous sommes essoufflés…

Le soir sous un ciel de cendres piqué de milliers d'étoiles  (pas de doute nous sommes bien dans  l’hémisphère  sud) nous regardons au loin un feu de brousse bien calés dans nos fauteuils. Ah l’Afrique !...

Le lendemain matin le garde-chasse se réveille trop tard, le soleil est presque levé. Les éléphants sont déjà repartis. Nous y retournons quand même mais nous ne verrons que quelques buffles qui s’éloignent dans les matitis –les herbes hautes-.

Seconde étape : le plateau KOUKOUYA
    Nous arrivons-exténué pour ma part- à LEKANA vers 21 h après 6h de piste sableuse :un vrai cauchemar.
Ma moto très lourde et peu démultipliée se plante dans les ornières laissées par les gros camions. Andrée et Hervé ont eu aussi pas mal de difficultés. Seul Roger passe facilement avec sa moto trial.

Les pâles lumières du premier village nous ont fait tout oublier. Nous demandons l’hospitalité à la mission catholique française. Il se trouve qu’André et Hervé connaissent le père Soudant, un missionnaire hollandais qui les avait dépannés sur une piste du sud.
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Aussi le lendemain, bien reposés, décidons nous d’aller le rejoindre à GLELE à une vingtaine de kilomètres de là.
La piste est bonne, nous traversons de petits villages charmants. Roger qui se sent pousser des ailes accélère, accélère…et fait une chute magistrale, sans gravité heureusement.

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Nous arrivons vers 17h 30 .Le père, d’emblée,  nous propose de l’accompagner pour le village d’OYALI en bas dans la vallée.  Deux, trois heures de marche, une jolie promenade nocturne; nous acceptons bien sûr.
Après le repas, nous allons reconnaître la piste.  Après un bref passage dans les matitis nous débouchons sur une vallée. A la lumière du soleil couchant elle s’étale devant nous, magnifique savane piquée de petits arbustes aux feuilles rares. Sur la gauche le plateau fait un à-pic laissant apparaitre des rochers que l’on prendrait volontiers pour un château féodal en ruines. Au loin, ce que nous prenons pour une piste d’atterrissage s’avérera être le village d’OYALI. Mais il se fait tard et nous rentrons.

    Le père nous raconte son existence entre la mission et les villages :
« Lorsqu’à la colonisation les autorités sont venues ici, on leur a dit qu’il n’y avait pas de village plus loin , alors qu’OYALI  est à quelques heures de marche d’ici. C’est le conflit entre les gens d’en haut et les gens d’en bas. Le plateau s’est peuplé à partir de LEKANA alors que les habitants de la vallée doivent provenir d’une migration gabonaise; la frontière n’est en effet qu’à 50 kms. Pour essayer de concilier les deux villages je leur fait construire une piste afin d’y accéder avec ma Land Rover. Je ne serais plus obligé d’y aller à pied ».

Le père nous offrit un petit « champagne » de sa fabrication. Il nous expliqua qu’i laissait simplement macérer des « n’tounous » (petits fruits oblongs de couleur rouge) dans de l’eau avec un bon paquet de sucre. C’est délicieux ; dommage que l’on ne trouve pas de « n’tounous » à Brazzaville.

Nous nous préparons donc à partir, chacun son sac et un paquet en bandoulière. Andrée et le père prennent une lampe tempête.
Nous commençons en fait, par un bout de chemin en Land Rover sur une piste qui n’est plus fréquentée depuis longtemps ; les fourrés recouvrent les traces du sentier  qui se font  de plus en plus rares. Des branchages griffent la voiture qui a de plus en plus de mal à avancer. Les phares ne portent plus. J’imagine une grande pieuvre végétale qui tente de de refermer son piège sur nous. Allons-nous rester bloquées, prisonniers des lianes et des fourrés ?
Non.
Le père met le crabotage du 4/4 et nous nous dégageons rapidement. Mais bientôt nous devons laisser la voiture et continuer à pied. La nuit est assez noire et la marche s’avère quelque peu difficile pour ceux qui n’ont pas de lampe : on pose le pied au petit bonheur la chance.
Le père se met à raconter des histoires de féticheur mais comme je suis en queue de peloton, j’entends assez mal.
De toute façon ce sont des histoires incroyables de personnes qui déterrent des cadavres.
Au bout de 2 heures de marche le père nous apprend que nous ne sommes pas sur la bonne piste. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant car les pistes se croisent et se recroisent. Alors il nous plante là, et part reconnaître les environs. Bien sûr, il va revenir,  mais tout de même !
En pleine nuit, au milieu des matitis avec des histoires de sorcier qui chatouillent nos oreilles, il y a des situations plus confortables.
Le père revient au bout d’un quart d’heure et nous reprenons la     bonne piste. Des champs de manioc apparaissent: nous approchons du village. La piste devient marécageuse, nous marchons bientôt sur des troncs d’arbre humides jetés au travers du chemin de terre.
C’est alors qu’apparait un magnifique pont de lianes jeté sur…. un trou noir: en fait une rivière. Nous nous y engageons un par un pas très rassurés.
Le pont est en fait constitué de trois grosses tresses de lianes en Vé ; les côtés

sont grillagés par des lianes plus fines.

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Il faut vivre cela: sentir le « pont » osciller dans le vide, les craquements sinistres des lianes qui se tendent, les murmures de la rivière…
Enfin, après une petite grimpette, nous arrivons au village, fatigués et contents. Le père nous installe des moustiquaires et devant une assiettée de biscuits nutritifs de l’armée hollandaise, il nous raconte l’histoire du grand esprit noir.
« Les habitants me racontèrent qu’un grand esprit noir hantait le village et qu’ils avaient bien peur de sortir la nuit.  Je voulus en avoir le cœur net et, un soir je laissais la porte de ma case ouverte et de la nourriture sur une table. Je fus réveillé par un bruit de gamelle renversée : j’eu à peine le temps d’apercevoir un gorille de bonne taille qui s’enfuyait… »
    Le lendemain comme il faut bien se rendre utile, nous allons aider le père à construire sa future église-dispensaire. Vingt adultes étaient assis sous des arbustes, quatre ou cinq participaient aux travaux : élever des poteaux (rails de récupération ramenés à dos d’homme).
    Puis en fin de matinée, ce sont les soins. Le père se fait médecin pour soulager ceux qui viennent le trouver (des femmes principalement). Un enfant avait une excroissance sur le front. Impossible de décider la mère à l’accompagner à la mission pour le soigner (une demi-heure de palabres). Les tabous sont encore trop puissants. Le clan familial exerce une pression importante sur chacun de ses membres. Alors, pour une femme, partir avec le père pour l’hôpital des « Mondélés » (blancs) …
    Nous nous rendons bien compte que le père ne fait pas de l’évangélisation. C’est encore trop tôt. Il habitue les villageois à sa présence. Il se fait accepter en leur donnant des cadeaux (vêtements, nourriture).
En venait trouver le père pour se faire soigner, ils font un premier pas pour se sortir de leur fatalisme ancestral. Car, inévitablement, le père s’oppose aux coutumes, aux féticheurs ; une vérité en remplace une autre (Quoique pour eux, ce serait plutôt une addition).
    Le père se mit à raconter comment il en venait parfois aux mains : Un « papa » avait été désigné par un féticheur très puissant comme le responsable de la mort d’un enfant (il n’y a que deux morts naturelles: les vieillards et les nouveau-nés). Le village tout entier s’en prit au pauvre homme et voulut le lyncher. Il se réfugia dans un arbre mais, sous les jets de pierres chuta par terre et se brisa la colonne vertébrale. Les villageois le laissèrent là 48 h !
Le dimanche suivant, au sermon, qu’est-ce que je leur ai passé … Je les ais traités de misérables, d’assassins, et au moment de la communion, en brandissant le poing droit, le calice dans la main gauche, je leur ai dit :
    « Ceux qui veulent communier après ce qu’ils ont fait je leur casse la gueule ! Approchez, mais approchez donc… »
Pas un n’est venu, je crois que ce jour-là ils ont compris.
En fin d’après-midi, escortés par quelques gamins nous remontons à ODELE. Puis c’est le retour avec le père à la mission de LEKANA.
Les deux jours suivants sont consacrés à visiter le plateau : nous achetons des pagnes de raphia qui imitent le velours. Ce sont des pagnes de chef pour la cérémonie du deuil.
Nous ne sommes pas très « chauds » avec Andrée et Hervé pour continuer vers le nord mais le père nous indique une piste à peu près bonne. Nous nous laissons tenter.
Cette piste a été tracée par les camions de la SEITA pour le ramassage du tabac.
En fait de bonne piste,  nous nous retrouvons une fois de plus dans le sable 
    Jurant par ci
    Jurant par-là
    Jurant à langue raccourcie
    Les joyeux jurons défilaient…
Pour certaines montées, il faut quitter la piste et rouler entre les arbustes au risque de se « planter » sur un caillou ou une termitière.  Nous sommes à deux doigts d’abandonner et de rebrousser chemin. Mais Roger est devant, il faut bien le rejoindre.
Après 30kms la piste devient bonne (nous osons à peine y croire). Nous pouvons enfin rouler à une allure raisonnable   30/40 km/h. La région est désertique ; de vagues traces parallèles serpentent entre des collines d’herbes rases. Quelques arbustes rabougris par çi par là mais pas de témoignage de travail humain. Et à chaque crête, nous découvrons une nouvelle vallée, aussi désertique que la précédente.
    Soudain, un village apparaît à l’horizon, le premier depuis 40 kms. En arrivant aux premières cases  les enfants accourent en criant « Moundélés, Moundélés »….Des mamas nous apportent des chaises.
    Le soir nous apprendrons que les villageois nous avait pris pour des mercenaires fuyant vers le GABON !.
Roger, qui passe bien mieux que nous, décide de continuer seul. Nous restons coucher ici au village d’HOULOUNOU.

Le chef nous offre la meilleure case, avec recouvrant le sol un « parquet »  de fins bambous. Les murs sont décorés avec des pages du catalogue « La Redoute »  Eh oui ! On peut lire un photo-roman, des articles d’une revue chinoise. La chambre possède des lits et une moustiquaire. Un « trois étoiles » en quelque sorte.

Nous sommes surpris par la gentillesse et la discrétion des habitants nous laissant manger notre poulet (qu’une mama nous avait préparés) entre nous.
Après le repas, c’est la veillée, Le village vit de la culture du tabac (16000 francs 1976) ce qui procure aux habitants un substantiel revenu également partagé. Un jeune qui paraissait être le chef du village nous quitte en s’excusant car il doit se lever à l’aube pour « trotter » jusqu’à LEKANA, près de 60 kms !...
Le lendemain, nous partons de bon matin, ce qui nous permet de rattraper Roger. Il croyait se débarrasser de nous, le chameau ! Eh bien c’est raté.
Nous sommes alors dans une région marécageuse. Des troncs d’arbres en guise de pont, sont jetés sur les cours d’eau. Certains sont pourris et il faut décharger et tenir la moto à deux ou trois pour pouvoir passer.

moto sur rondins


Nous débouchons bientôt sur l’ALIMA, rivière d’une centaine de mètres de large. Le bac qui d’ordinaire permet de la traverser repose sur la rive opposé, à demi immergé. Le câble sur lequel il s’accroche pour le propulser  –à l’aide du courant- a dû céder.
La seule solution pour traverser ce sont les pirogues. Vu la stabilité de ces engins là  (elles sont à fond plat creusées directement dans un tronc d’arbre) l’entreprise s’avère très risquée. Roger, le premier se jette à l’eau  (c’est une façon de parler) en les mouillants fermes comme il dit dans son jargon.

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  Nous traversons moto par moto pour diminuer les risques. Deux congolais  tiennent la moto en équilibre pendant que nous, assis bien sagement, prions tous les saints du paradis chrétien, L’opération se déroule avec 100% de réussite.
A OKOYO nous pensons être tirés d’affaire mais il n’y a pas une goutte d’essence. Pas question d’aller coucher à la mission de LEKETY comme le père nous l’avait conseillé.
    Il faut rejoindre BOUNDJI en espérant que nos réserves d'essence suffiront. J’ai tout de même poussé la moto quelques mètres jusqu’à la station-service.
Ce village était déplaisant à souhait. Les autorités nous  ont gardés  une heure pour vérification d’identité. Nous partons alors vers BOUNDJI bien que la nuit soit proche.
Le premier village est le bon: accueil sympathique, omelette du chef et tout le toin toin  En prime les garçons et les filles du village dansent sous la lumière de lampes tempête, au son du TAM TAM.


Nous gagnons MAKAOUA, village à cheval sur l’équateur et nous redescendons vers BRAZZAVILLE  en accumulant les pannes. Nous arrivons ravis, affamés et épuisés le mercredi 29 septembre, juste à temps pour reprendre les cours.
   
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